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MACHINES

Une histoire

de vocabulaire

 

13 septembre 2021

Quand on s'invente une langue par quoi commencer ? Des petits traits, des choses plus ou moins arrondies, et pas de grandes tirades pour éviter les angles qui blessent. Il faut un minimum de vocabulaire pour causer machine, pour argumenter design informatique. On s'inspirera des anciens, de ceux qui se sont inventés en presque self-ready-made-man, on essaiera de tirer à soi les draps des révolutions passées et un jour peut-être, Deus Ex Machina aidant, pourra-t-on haranguer à perte de voix, à perte de joie, à perte d'effroi. Alors apprendre et quitter ses rognures de crayons HB, voilà la seule issue se présentant pour mettre en route les moteurs de l'invention. En 1984, une langue brute de pixels naît, un cas de figure, un 128 k.

Mais avançons dans la caverne car on ne les voit pas ces pixels qui se forment, s'agglutinent engendrés par les 1 et les 0 formant des lignes de code. Le résultat est en surface, nimbés du jour bleuté de l'écran, voici des cercles et des carrés parfaits quoique rugueux en leur périmètre, mais n'est-ce pas ce qui confère du charme à tout Prototype ? Peu importe, la ligne de conduite est définie, le trait sera horizontal, vertical, il obéira à la contrainte majuscule du 45°, les cercles et leurs arcs écarteront la tentation de l'ellipse. Simplification et radicalité sont les maîtres mots soutenus par le Pixel Étalon.

C'est comme un bal ou un manège, il y a du jeu entre les pièces, d'un corps l'autre tournent les engrenages, les courroies font leur travail favorisant les transmissions énergétiques, à une époque cela favorisait les étincelles marmonnent les anciens.

Tubes de l'étau, il fait chaud. Sur la planche à dessin des tiges filetées se tendent, des plaques sont agencées, les engrenages sont mis en place. Il va falloir que ça bouge mais il n'y a pas de tôles d'acier sur ces formes aimantées… Pas encore, le moment est à la simulation.

Sur les plans tout paraissait simple pour les uns, alambiqué —oui-un-peu— pour les autres, après élévation des modèles, la construction devait suivre rapidement et il a été fait ce qu'il était possible de faire avec les moyens du bord. Des imprimantes 2D… on a eu beau essayer, travailler sur papiers millimétrés perforés sur les bords, il a fallu renoncer et la 3D fut tout bonnement… aplatie. Les responsables du Bureau d'Extrude ont pensé que cela avait quand même le mérite d'exister, avec plutôt de la gueule, et qu'en définitive c'était bien mieux que le néant.

Ainsi nous en sommes toujours là, nous créons des patrons, ces formes initiales, celles qui donnent les lignes à suivre et auquelles il n'est pas question de déroger. Mais dans la Haute Soudure les petites mains se lassent et finalement sortent des jalons. En haut lieu ça finit par se savoir et  les délégués du personnel se font taper sur les doigts :"Rentrez dans le rang ! Puisque que c'est ainsi il faut allez plus loin, désormais vos modèles seront les Saints Patrons qui, comme le ciel, seront Bleus !".

Il faut produire et tout un chacun fait du zèle histoire de se bien faire voir, à défaut d'acier (les pénuries sont souvent inattendues) on déposera ces Saints Patrons sur les papiers les mieux ajustés, les plus étoffés. Dans nos laboratoires qu'ils soient trempés et portés sur les fonds baptismaux dont les jus photo-sensibles scintillent sous les néons rouges inactiniques. Pas de danger !

Il est huit heures Icare et tout est à recommencer, les cadences sont mortelles, les creusets ont été soumis à des feux insensés, ils ont eux-même fondu comme enchaînés aux aciers qu'ils devaient amollir.  Alors tournez moulins, de l'air ! de l'air ! avant que ne revienne le temps des hauts fourneaux.

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