La bande dessinée m'a conduit vers l'illustration. Paradoxal… je ne me voyais pas illustrateur alors que je publiais mes premières courtes histoires du Pr. Yoyo dans les pages de Libération fin 1981. C'est pourtant ce qui s'est passé. La parution d'une image dans un quotidien, un hebdo ou un mensuel, en appellait une autre. Comme d'autres dessinateurs je passais par Télérama, Marie-Claire, L'Expension, Autrement, etc… je travaillais au pinceau et à l'encre de chine en utilisant les trames Letraset pour les gris ou les couleurs. En 1983 je décidais avec Toffe de créer Au Sec! un graphzine auto-produit bien dans l'air du temps permettant une expression sans contraintes. Le principe de ce type de publications était d'inviter des artistes qui eux-mêmes éditant leurs propres supports vous invitaient à leur tour.
C'est en novembre de cette même année que le hasard nous fit croiser la route du Macintosh 128 k que Apple venait de sortir aux U.S.A. Pendant presque deux mois la firme nous prêtait une de ses machines révolutionnaires. En janvier 1984 l'ordinateur est présenté au public en grande pompe à Paris et nos premiers dessins informatiques sont joints au dossier de presse lors de l’évènement ceci grâce à l'intercession de Marylène Delbourg-Delphis dirigeante du Studio A.C.I qui travaillait avec Apple sur divers projets et études de logiciels.
Rapidement ces images au grain pixellisé attirent l'attention et fin 1984 le mensuel Zoulou (maquette Bénito) publie ce que l'on considère en France comme la première bédé faite à l'ordinateur. Le texte signé Marat qui accompagne mes images et celles de Toffe proclame "La fin des gommes et des crayons".
À propos de cette parution annonçant la fin des gommes et des crayons voici ce que l'on peut lire dans l'ouvrage de Julien Baudry Casse.Pixels, une histoire de la BD numérique en France parue en 2018 aux Presses Universitaires de France :
“La première rencontre de la bande dessinée avec la jeune industrie numérique prend place dans l’engouement pour les premiers ordinateurs personnels de la marque Apple, et plus précisément à la sortie du premier Macintosh en 1984. Le lancement de cette nouvelle machine est l’occasion d’une importante campagne de publicité : il s’agit de montrer au grand public la qualité et la facilité d’utilisation de l’interface graphique, en rupture avec les interfaces en ligne de commande. Le rôle du dessinateur comme premier démonstrateur de la nouvelle ère de l’ordinateur personnel et de l’affirmation d’une « imagerie » numérique est idéal. En France, deux auteurs issus de la presse underground, Toffe et Gerbaud, sont invités par la firme à s’emparer en avant-première de l’outil pour imaginer les trois pages de Et Dieu naquit la femme, souvent considérée comme la première bande dessinée réalisée par ordinateur.“ (lire l'article complet des Presses Universitaires de France : https://books.openedition.org/pufr/15747?lang=fr )
Ceci n'est pas tout à fait conforme à la réalité, replaçons les choses dans l'exacte chronologie car "Et Dieu Naquit la Femme" est le titre d'un ouvrage de 25 pages de dessins réalisés sur Macintosh édité par Au Sec ! en février 1984 soit quelques mois avant cette parution dans Zoulou sous la forme d'un tout autre objet.
Ma façon de travailler change, je range plumes et pinceaux et cela pendant une vingtaine d’années aux cours desquelles je vais collaborer avec différentes maisons d’éditions, d’agences de communication, de magazines et de quotidiens. Creapress, dirigé par François Blanc, une des premières sociétés à foncer sur le desktop publishing et spécialisée dans la conception de magazines commerciaux (comme Apple Magazine) m'a employé comme free lance de nombreuses fois.
Persévérant néanmoins sur les chemins de la recherche graphique j'exposais mes travaux en France mais aussi à l’étranger (Espagne, Allemagne, Hongrie, Canada) cela plus ou moins en lien avec une certaine scène underground française pratiquant l’auto-édition. Faisant partie des premiers graphistes professionnels de l'ordinateur les directeurs artistiques des agences de pub ou des rédactions ont eu tôt fait de me ranger dans la case nouvelles technologies.
Traiter la thématique internet, le monde des autoroutes de l'information et tout ce qui était lié de près ou de loin au numérique, encore et encore c'est lassant même si c'est pour Libération ou Le Monde. Mener une activité commerciale sans perdre de vue ses désirs d'expérimentations n'est pas simple, en tous cas mon style graphique fait de boulons, d'écrous, de roues dentelées ou de manivelles, était immédatement identifiable. Le prisme mécanique supervisait le tout.
Eh ! Il n'y a pas que la mécanique dans la vie ! Pratiquement si… car dans toutes les images réalisées jusque dans les années 2000 la machine est omniprésente quitte à camoufler son emploi (c'est drôle comme ce mot machine renvoie quand même le plus souvent à un tas de ferraille poisseux d'huile). Une quinzaine de couvertures furent réalisées pour ADEN un supplément du Monde et le directeur artistique ne voulant pas la moindre trace d'ordinateur dans les images il m'a fallu bidouiller, traficoter et placer des textures, du craft, des effets de peinture à l'huile, scanner des dessins au crayons et tout mélanger, etc… Un vrai plaisir !
L'affiche faut que ça claque ! Il faut jouer de la typo dans le mini ou le maxi et griller ou calmer les yeux.
Dés que l'on peut, vite, faire de sa tâche des taches, se tremper le bout des doigts dans l'encrier sans être rattrappé par la patrouille numérique, ou si peu, forcément on maquette avec les moyens du bord… l'ordi. L'affiche pour la Cie Les Piétons voilà la bonne occase !
À suivre…
Vous êtes sur le blog de Philippe Gerbaud, Industries Graphiques. Si vous voulez être tenu au courant de son actualité ou des nouveaux articles n'hésitez pas à vous abonner.